L’année 2019 s’achève et l’équipe de Zao Magazine revient sur ses évènements favoris, toutes manifestations culturelles confondues.
ARIANE DIB
Conversation avec l’au-delà
Les Idoles, Christophe Honoré, au théâtre de l’Odéon
Si vous pouviez remonter le temps, avec quels artistes rêveriez vous de dîner ? C’est un peu le concept de la pièce Les Idoles montée au Théâtre de l’Odéon pour la première fois en janvier dernier. Cette création originale incluant des extraits de textes de Jean-Luc Lagarce, Hervé Guibert ou Bernard-Marie Koltès, rassemble les auteurs et cinéastes iconiques disparus, décédés du sida, de la jeunesse de Christophe Honoré. Le réalisateur de Plaire, aimer, et courir vite, qui ne voulait cependant “pas [d’un] mausolée”, évite le pathos avec beaucoup d’habileté et d’humour. Le spectateur passe du rire aux larmes très aisément, grâce à une mise en scène géniale et des acteurs phénoménaux. Je retiens sans hésiter de cette année 2019 cette pièce, subtile, intelligemment faite, montrant la diversité de cette “génération sida” fauchée dans la fleur de l’âge, leurs différences d’opinions relatives à l’homosexualité, au couple, à la maladie, à la création.
Pour celles et ceux qui n’auraient pas eu la chance d’aller la voir en 2019, sachez que le Théâtre de l’Odéon la remet sur les planches cette année.
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Les Idoles, Théâtre de l’Odéon, 2019 © Jean Louis Fernandez
L’amour à la plage
Portrait de la Jeune Fille en feu, un film de Céline Sciamma
J’ai été émerveillée par cette histoire d’amour hors du male gaze, d’une poésie très simple, qui aborde au passage une multitude de thématiques telles que la sororité, l’avortement, l’accès des femmes aux oeuvres d’art mais également le travail de ces « peintresses » comme on pouvait les appeler à l’époque, dont l’histoire de l’art n’a conservé que quelques noms (Elisabeth Vigée – Le Brun ou Adélaïde Labille-Guiard). Pour moi, Céline Sciamma signe ici un film incroyable, doté d’une photographie digne d’un(e) peintre du XVIIIe siècle, avec des portraits, des marines et paysages magnifiques. Cette atmosphère valorise sans fioritures les personnages joués par Adèle Haenel, modèle rebelle, et Noémie Merlant, portraitiste indépendante.
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Extrait de Portrait de la Jeune Fille en Feu, Céline Sciamma, 2019
Au musée comme à la scène
L’exposition Degas à l’Opéra au Musée d’Orsay
Je me devais de choisir une des expositions du Musée d’Orsay, 2019 ayant été une année à grands crus, et j’ai choisi celle-ci. Certes, Degas n’est pas le sujet le plus original ou le plus révolutionnaire pour un musée parisien sur le XIXeme siècle (quoiqu’Orsay sache très bien faire dans l’original et le révolutionnaire, Le Modèle Noir le montre). Néanmoins, cette rétrospective est particulièrement bien maîtrisée et elle a permis d’admirer des oeuvres du monde entier, tout en proposant un parcours très didactique. Par ailleurs, sa muséographie fait preuve d’un décloisonnement intéressant, montrant des objets variés : éventails peints par l’artiste, maquettes de l’Opéra et de ses décors, croquis de costumes … Le point de vue scientifique n’en est pas pour autant lésé, Degas est présenté dans toute sa complexité : sa poésie, ses couleurs, sa modernité, ses innovations techniques, sa mondanité mais aussi son ambiguïté assez malsaine, le voyeurisme du spectateur vis à vis de ces jeunes danseuses. Un parti pris intéressant à une époque où les débats sur la séparation de l’homme et l’artiste sont inévitables.
Si vous ne l’avez pas encore visitée (ou souhaitiez y retourner), l’exposition est encore visible jusqu’au 19 janvier 2020.
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Edgar Degas, Musiciens à l’Opéra, 1872, huile sur toile, Städel, Frankfurt am Main, Allemagne
MATHILDE PRÉVOTAT
Que la lumière soit
Alex Majoli – Scenes, Le Bal
Il me tenait à coeur de mettre dans mon top culturel une exposition du Bal, espace d’exposition indépendant que j’ai découvert récemment et que j’apprécie pour sa programmation. Comme son nom l’indique, l’exposition Scène propose une ré-interprétation moderne du topos du theatrum mundi (ou théâtre du monde en vogue à l’époque baroque où chaque homme est un acteur qui joue son rôle et puis disparaît). Résultat de 8 années de captation de divers événements à travers le monde, elle présente des sujets divers (Jungle de calais, concerts, manifestations politiques, funérailles) qui sont tous liés par une même esthétique : les images semblent être faites de noir et de noir. Les sujets sont en effet éclairés en clair-obscur par une lumière puissante et irréelle qui tombe sur les personnages plongés dans la pénombre. Les scènes représentées sont immédiatement dramatisées, théâtralisées et presque pictorialisées. L’ambiguïté se dégageant de ces images qui oscillent entre la réalité et la fiction est d’autant plus intéressante au vu du CV de l’artiste qui est photojournaliste et reporter de guerre. En somme, cette exposition promettant une réflexion sur la théâtralisation en photographie a tenu ses promesses et l’on ne pouvait qu’être impressionné devant la puissance des images photographiques que l’on avait devant les yeux.
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Londres, Angleterre 2017, Scene #8667, Premier jour du Brexit au pub Jamaica Wine House, situé au cœur de la City. © Alex Majoli / Magnum Photos
La saga de l’été
La vente de Judith et Holopherne attribué à Caravage
Vous en avez sûrement entendu parler, ce sujet a passionné tout le marché de l’art cet été. Je parle évidement de la vente du Caravage Judith et Holopherne découvert dans un grenier à Toulouse en 2014. Expertisé par le cabinet Turquin, le tableau a été exposé à Paris dans la galerie Kamel Mennour et à l’hôtel de vente Drouot où tous les professionnels du marché de l’art se ruaient afin de l’apercevoir. J’étais alors en stage chez un commissaire priseur et j’avais entendu plusieurs professionnels affirmer que certes ce tableau consistait un beau travail mais qu’il n’était surement pas de Caravage. Après l’avoir porté Trésor National, l’Etat français avait d’ailleurs renoncé à l’acheter, ce qui a entretenu les incertitudes. Selon quelques mauvaises langues ce doute sur la véracité de l’oeuvre est d’ailleurs à l’origine de la fin de cette affaire : destiné à être vendu aux enchères publique par la maison de vente Marc Labarbe, le tableau du maître du clair-obscur a finalement été vendu de gré à gré 48 h avant la vente. Les rumeurs disent que cette vente précipitée est dû à un nombre insuffisant d’ordres ce qui est fort probable au vu de la mise à prix de l’oeuvre qui devait être de 30 millions d’euros. L’acquéreur souhaite rester anonyme mais le New York Times a déjà annoncé qu’il s’agirait de James Tomilson Hill un collectionneur américain !

Le Caravage, Judith et Holopherne, vers 1607, huile sur toile, 144 x 173,5 cm © Cabinet Turquin
CAMILLE CHU
L’hommage photographique
L’exposition LOVE, Ren Hang à la Maison Européenne de la Photographie
Deux ans après sa disparition en 2017, la MEP a rendu hommage à Ren Hang à travers une première exposition majeure consacrée au photographe chinois. 150 images et 1200 images en diaporama retraçaient son travail photographique qui donnait à voir un certain visage de la jeunesse chinoise. Que ce soit des nus ou des paysages, des fleurs ou des animaux, des visages ou des corps, les photographies de Ren Hang sont directement reconnaissables de part leurs couleurs acidulées, la présence du rouge et leur mise en scène “osée” qui oscille entre érotisme et organique. L’exposition de la MEP nous dévoilait aussi un aspect un peu moins connu du travail de l’artiste : ses poèmes et écrits. « Si la vie est un abîme sans fond, lorsque je sauterai, la chute sans fin sera aussi une manière de voler » écrivait-il. Son oeuvre me fascine et me fascinera toujours ; la vision unique de l’artiste transcende un système politique stricte autant qu’elle exprime les conséquences de ce système sur une génération brimée. Souvent qualifiées de pornographiques, les photographies de Ren Hang ne sont pourtant que l’expression d’un désir de liberté de création. La MEP a réussi à mettre en lumière cette tension tout en rendant hommage à la poésie et à l’humour de l’oeuvre de Ren Hang. Une valorisation, à mon plus grand bonheur, de la photographie chinois contemporaine, comme la MEP l’avait déjà fait en 2017 avec Liu Bolin.
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Vue de l’exposition LOVE, Ren Hang, Maison Européenne de la Photographie, 2019
Quand électro rime avec classique
L’exposition Electro, De Kraftwerk à Daft Punk à la Philharmonie de Paris
Explorant l’imaginaire, les innovations et les utopies de la musique électronique, la Philharmonie de Paris nous a fait vibrer avec l’exposition Electro, De Kraftwerk à Daft Punk. De la naissance dans les années 1980 de la house et la techno jusqu’à la révolution électro au tournant des années 2000, l’exposition retraçait un phénomène musical mondial qui s’impose finalement comme une tendance artistique majeure de la culture contemporaine. De nombreuses installations rythmaient le parcours avec toujours plus d’effets visuels, de projections lumineuses, et bien sûr, d’expérimentations sonores. Conçues par Daft Punk, Kraftwerk ou encore Jean-Michel Jarre, les installations se déballaient devant nous au fur et à mesure de notre exploration dans l’espace. Plus qu’un simple parcours concentré sur l’évolution de l’électro, le visiteur pénétrait au sein d’un espace à l’image des lieux où se produisent et vivent les musiques électroniques, grâce à une scénographie originale proposée par le duo 1024 architecture. Ce qui m’a particulièrement marquée à travers cette exposition novatrice est la démonstration de la dimension politique et revendicatrice de l’électro. Véhiculant les notions de rassemblement dès ses débuts, l’avènement de l’électro a permis en même temps la cultivation d’une forme d’expression désincarnée et la création d’une contre-culture politique. C’est ainsi que sont apparus de “safer places” au sein de clubs pour des minorités notamment LGBTQ+.
Bonus : Si vous n’avez toujours pas de playlist pour animer votre nouvel an, nous vous proposons Detroit Mix, un extrait la bande-son de Laurent Garnier spécialement créée pour l’exposition !
De l’autre côté de la Manche
L’exposition Félix Vallotton à la Royal Academy of Arts de Londres
Sortons des sentiers battus de la France pour nous aventurer en Grande-Bretagne. J’ai eu la chance de visiter l’exposition Félix Vallotton, Painter of Disquiet, à la Royal Academy of Arts de Londres, organisée avec le Metropolitan Museum of Art de New York. Efficace, pertinente, intimiste, cette exposition rassemblait plus de 80 peintures et gravures de l’artiste suisse Félix Vallotton, surnommé le “peintre de l’inquiétude” (painter of disquiet). D’abord membre du groupe des Nabis, il se libérera ensuite de toute association pour se dévouer à la peinture de nus, de natures mortes, de paysages, dans un style tranchant et singulier. Point fort de cette exposition : Les intimités, une série de gravures sur bois publiée fin 1898 dans La Revue blanche, journal libéral de l’époque. Ces images frappantes laissent à voir des formes noires et blanches qui s’entremêlent pour subtilement dessiner des visages, des corps, des histoires.
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Félix Vallotton, La Paresse, 1896, xylogravure, 30,5 x 24 cm
JOSÉPHINE DE GOUVILLE
Le phénomène Hartung au Musée d’Art Moderne de Paris
Le 11 octobre dernier, après plusieurs mois de travaux, le Musée d’Art Moderne de Paris a rouvert ses portes pour écrire une nouvelle page de son histoire. Nouveau logo, simplification de son nom et conquête de nouveaux publics… Les ambitions sont grandes, à la hauteur de l’exposition consacrée à Hans Hartung ! Pas moins de 300 œuvres sont réunies pour rendre hommage et faire (re)découvrir la production de cet artiste majeur du XXe siècle.
J’ai été fascinée par cette exposition, et notamment par l’homme qui se cache derrière l’artiste. La prouesse du MAM dans cette rétrospective, c’est de nous faire rencontrer Hans Hartung dans son intériorité. Né en 1904 à Leipzig, il est le témoin extraordinaire d’un siècle bouleversé par les conflits. Et en même temps qu’il assiste et qu’il est impliqué dans cette sombre Histoire, il est à l’origine d’une production artistique prolifique… 15 000 œuvres à travers lesquelles il explore tous les supports et développe une panoplie d’outils.
Son œuvre est unique. Elle dégage à la fois un lyrisme et une émotion hors du commun, mais est aussi ancrée dans une forte rationalité. Ce passionné de mathématiques et d’astronomie est aussi mélomane et voue une grande admiration à Bach. La poésie est à son comble lorsque, dans la dernière salle, dépassés par le format immense des œuvres, les extraits de la musique de Jean-Sébastien Bach viennent nous bouleverser. A ce moment-là, nous sommes plongés dans la « magie Hartung », une sorte de beauté mystique qui nous dépasse.

Hans Hartung, T1986-E16, 1986 Acrylique sur toile 142 x 180 cm Fondation Hartung-Bergman, Antibes © ADAGP, Paris, 2019
« Parce que Léonard était avant tout un peintre »
L’exposition Léonard de Vinci au Musée du Louvre
Lors du vernissage de l’exposition Léonard de Vinci au Louvre, les deux commissaires, Vincent Delieuvin et Louis Frank, ont rappelé leur ambition première, celle de « comprendre Léonard ». Après 10 ans de travail, une analyse scientifique des tableaux et l’extraordinaire réunion de 162 œuvres, il est désormais possible d’affirmer que oui, « Léonard était avant tout un peintre ».
Bien qu’on ne lui attribue qu’une quinzaine d’œuvres, la peinture, qu’il aimait qualifier de « divine », était au cœur de chacune de ses réflexions : peindre, mais peindre juste. Dès lors, tout est plus lisible ! Chaque étude préparatoire, chaque retouche, chaque coup de crayon que l’on découvre grâce à l’incroyable prouesse de la réflectographie infrarouge, nous dévoile un Léonard de Vinci au travail. Loin du génie à l’intuition miraculeuse, on est face à un homme qui cherche et qui souhaite comprendre les lois qui gouvernent la nature.
Dans la pénombre, les quatre grandes sections thématiques nous guident sur le parcours initiatique de Vinci : sa période d’apprentissage dans l’atelier du sculpteur Verrocchio, son chemin vers la liberté pour représenter le mouvement et la dynamique des figures, son évasion dans les champs de la connaissance avec des dessins incroyables de minutie, et enfin l’accomplissement de toute sa vie avec les grandes œuvres peintes. Vous pourrez notamment découvrir la Sainte Anne et le Saint Jean-Baptiste après restauration !
L’ambition des commissaires est bien atteinte. Après ce pèlerinage sur les pas d’un géant, nous comprenons mieux qui est Léonard : « il était avant tout un peintre ».

Léonard de Vinci, Draperie Saint-Morys. Figure assise, vers 1475-1482. Détrempe grise, rehauts de blanc sur toile de lin. H. 19,6 ; L. 15,3 cm. Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, INV. 2255 © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado.

Léonard de Vinci, Étude de composition pour l’Adoration des Mages, vers 1480-1481. Pointe de plomb reprise à la plume et à l’encre brune. H. 28,4 ; L. 21,3 cm. Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, RF 1978 © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado.